Par Xuân-Mai, Septembre 2021


Si vous avez gouté à la Joufflue, cette brioche végane dont la recette est inspirée d’une recette de brioche du sud de la France, vous avez peut-être retenu le nom la productrice, Mademoiselle B, et peut-être même que comme moi vous faites vos courses au Nid exprès le mardi pour ne pas rater sa livraison !

Je suis donc allée à la rencontre de Sarah Bertin, alias Mademoiselle B, sur son lieu de travail dans le quartier des Eaux-Vives, un fournil qu’elle partage avec son colocataire… de fournil. (Je n’ai pas osé demander s’il était aussi son colocataire tout court. Je ne sais pas pour les artisans, mais quand tu es salarié tu n’as pas trop le droit de pécho tes collègues non ? Bref, ce n’est pas l’objet de la rencontre.)


Notre artisane-boulangère est encore en train de travailler quand j’arrive, je démarre donc l’interview face à dix doigts qui plongent dans une énorme focaccia pour y faire des trous et insérer les olives et surtout plein, plein d’huile d’olive.

Mademoiselle B, c’est qui ?

Sarah est née à Strasbourg et décrit un parcours non linéaire : elle a voulu être danseuse, a suivi une école supérieure d’arts appliqués pour être graphiste et a été jeune fille au pair aux États-Unis, a travaillé dans une fabrique artisanale de macarons et a découvert une passion pour la vente aux marchés. Et puis un jour, à la suite d’un stage qu’elle a adoré chez des boulangers qui faisaient du pain au levain, elle a décidé de se lancer elle-même dans l’aventure.

« Bien vivre, bien manger fait partie de mon éducation »

Depuis quelques années, il y a un véritable engouement en Europe pour le pain au levain. En 2011, Sarah a suivi une formation à l’École internationale de boulangerie[1], école spécialisée dans la fabrication du pain au levain.

Elle a choisi de travailler principalement avec des farines moulues sur une meule de pierre – car cette technique est plus intéressante sur le plan nutritif -, d’utiliser de la farine bio locale de mener à bien une fermentation au levain pour que le pain soit digeste.

« On croit que le pain c’est juste de la farine, de l’eau et du sel ! »

En 2013, elle s’installe au milieu des vignes en Touraine, au centre de la France, avec un petit fournil, un four à bois et juste un pétrin et commence à produire du pain avec de la farine bio locale. Elle fait les marchés, la vente, la production et la livraison toute seule ; c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail. Après sept années, et une envie qui la chatouille de retrouver les montagnes, elle rencontre Jérôme – son colocataire de fournil – à une fête de boulangers de l’école et décide de le suivre (et peut-être de l’amour ? La meuf lourde). C’est le moment de vendre son fonds de commerce et de vivre à Genève en janvier 2020.

Mademoiselle B, c’est quoi ?

Mademoiselle B produit 4 types de pains et fournis les épiceries genevoises en faisant pédaler des coursier.e.s à vélo.

Pendant qu’on discute, Adèle, la coursière, arrive pour charger une cinquantaine de pains et repart sur son vélo-cargo. Ainsi Adèle doit faire 4 aller-retours par fournée pour livrer aux épiceries les bons pains de Mademoiselle B. J’admire les beaux mollets d’Adèle.

Travailler à 4 mains (les siennes et celles de Jérôme) permet de travailler moins. Même si chacun a sa propre manière de faire le pain et son petit secret de fabrication, les colocs de fournil partagent les mêmes modèles et les mêmes valeurs : travail en farine bio donc auprès des agriculteurs et meuniers bio locaux situés à moins de 100km[2]. Les pains de Mademoiselle B sont sans levure, mis à part pour la Joufflue.  Le fait de pétrir la pâte et de bloquer en froid (la pâte repose la nuit au froid) pour la cuire le lendemain lui permet de gagner ¼ de temps sur la journée globale de travail.

« Ce choix de modèle permet d’apporter grand soin à la fabrication de la pâte. »

Faire du pain au levain demande un travail plus long pour mener à bien la fermentation souhaitée. Le levain est un être vivant qu’on entretient. Ce n’est pas le même procès de panification[3], c’est le pain comme on le faisait avant.

« Tu ne peux pas démarrer une fermentation au levain du jour au lendemain. Mon le levain de blé à plus de 10 ans, mon levain de Sarasin à 2 ans.  Si demain, je perds mon levain, je serai bien triste. »

Il n’y a pas de standardisation du pain au levain naturel. Les fournisseuses et fournisseurs du pain au levain du Nid vont toutes et tous produire des produits différents. Personne ne va appliquer une recette précise et chacun.e est plus libre et indépendant.e dans ses choix d’approvisionnement en farine. Ce qui n’est pas le cas dans les autres boulangeries.

Est-ce que tu arrives à bien concilier ta vie de productrice et ta vie personnelle ?

Le passage de la campagne à la ville a donné en effet à Sarah l’envie de dégager du temps pour profiter des avantages de Genève, de ses offres culturelles et de formation et de ses bars !

Bien décidée à travailler moins et à avoir plus du temps libre, Sarah offre une gamme réduite à 4 produits livrés le mardi et 3 livrés le vendredi. Objectif atteint ! Aujourd’hui Sarah ne travaille plus 7 jours sur 7.

Arriver à obtenir un confort de travail avec des semaines « décentes », c’est le fruit de 7 ans de travail, d’un processus de production optimisé avec un partage des tâches et des frais, l’externalisation des livraisons, les ventes en épicerie et un choix de produits réduit avec l’absence de viennoiseries.

Aujourd’hui les capacités de production sont à leur niveau maximal pour les deux producteurs. Pour faire plus, il faudrait agrandir le « labo ». A Genève, c’est d’ailleurs le cas pour tous les boulangers en levain qui sont tous complets dans leurs commandes et se voient obligés de refuser de nouveaux clients.

A bon entendeur, si l’envie de mettre la main à la pâte vous démange, il semblerait que le pain au levain naturel a de l’avenir à Genève.

Comment est née la collaboration de Mademoiselle B avec Le Nid ?

Avant d’arriver à Genève, Sarah faisait les marchés et livrait dans les AMAP[4], c’était donc facile pour elle de savoir où s’approvisionner en nourriture et produits de qualité. Comme l’une de ses grandes priorités a toujours été de bien manger, c’est naturellement qu’elle s’est tournée vers le Nid d’abord en tant que coopératrice.

« J’ai d’abord été coopératrice avant de devenir productrice du Nid »

Elle a ensuite investi le Nid en tant que productriceet c’est dans la bonne humeur et avec plaisir qu’elle a collaboré avec Guillaume puis avec Doris, responsables des commandes de pains au Nid, autour de la gestion de l’approvisionnement, de la présentation et de la conservation du pain.


[1] https://ecoleinternationaledeboulangerie.fr/index.php

[2] L’affaire Tourne-Rève, le cercle des agriculteurs pour le blé semi-complète (BISE), farine GRTA le gros moulin de Genève, Le Clos de papillon (Corentin Tissot) pour la farine de Graine et de Sarasin. Le riz et l’huile d’Olive viennent d’Italie.

[3] https://levainbio.com/cb/crebesc/les-etapes-de-la-panification/

[4] AMAP – Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne